Saint-Jouin-de-Marnes, abbaye (cloître)
Bâtie sur un promontoire dominant la pleine de la Dive, l’abbaye de Saint-Jouin-de-Marnes vante des origines très anciennes. Un premier monastère bénédictin, établi sur lieu où avait vécu le saint ermite Jovinus, est connu en ce lieu depuis le VIe siècle. Ses structures furent rénovées et augmentées à la fin du IXe siècle par l’abbé Rainaldus (Crozet 1942, doc. 30), mais l’église abbatiale actuelle ne fut construite qu’entre le début du XIe et la première moitié du XIIe siècle. L’édifice devait être presque achevé en 1130, lorsque l’autel principal fut consacré. D’autres travaux furent réalisés dans les siècles suivants. Notamment, les voûtes en style angevin furent réalisées au XIIIe siècle et des travaux de fortification furent accomplis, à l’extérieur, vers la fin du XIIIe siècle (Camus 2004).
Des bâtiments abbatiaux construits à l’époque romane, il ne reste aucun vestige. Ils furent totalement reconstruits par Pierre d’Amboise qui, entré comme moine dans l’abbaye de Saint-Jouin-de-Marnes, en devint l’abbé en 1467, à la mort de Pierre de Féletz (Villard 1966, p. 1381). Tout en collectionnant une longue série de bénéfices – tels le prieuré de Rouvres, l’abbaye Saint-Laon de Touhars, celle de Lyre, le prieuré de Parthenay-le-Vieux (ibid.), celui de Saint-Cosme près de Tours (Souchal 1976, p. 520) –, Pierre conserva une affection particulière pour son abbaye, dont le pape Sixte IV lui conféra la commende en 1481, au moment de son élection comme évêque de Poitiers (Vallière 2008, p. 181). C’est en effet dans ce monastère, où il se fit consacrer le 20 janvier 1482, ou dans son château de Dissay que Pierre d’Amboise résida de préférence (ibid.). En 1476 il décide de remettre à neuf les bâtiments conventuels qui versaient dans un état de ruine (Crozet 1942, p. 168, doc. 600) : le dortoir, le réfectoire et le cloître (ibid., p. 184 ; Gallia christiana 1720, col. 1276). De ces structures, construites en partie aux frais de l’abbé et en partie par le biais d’une taxe établie sur les bénéfices de l’abbaye (ibid.), on ne conserve que la gallérie méridionale du cloitre. Tout le reste a été démoli par Auguste Servien, abbé commendataire de Saint-Jouin-de-Marnes, au début du XVIIe siècle (Rhein 1910, p. 118). Réédifiés dans le style classique, ils furent vendus comme biens nationaux, puise démolis (ibid.).

Saint-Jouin-de-Marnes, cloître de l’abbaye, galerie sud, armoirie d’Amboise tenue par deux hommes sauvages et une figure féminine.
L’aile conservée du cloître voulu par Pierre d’Amboise se compose de huit travées couvertes de voûtes reposant sur des croisées d’ogive qui retombent sur des chapiteaux ornés de feuilles. Du côté du jardin, toutes les travées sont ajourées par des arcades en plein style flamboyant. Toutes les clefs de voûtes de la gallérie sont ornées par des écussons armoriés, en partie bûchés et presque illisibles. La série constitue un ensemble unitaire qui date sûrement de la reconstruction de 1467, exception faite pour les deux derniers écussons (armoirie 7, 8) réalisés à l’occasion des restaurations de la structure, peut-être sur la base de sculptures anciennes détériorées et perdues depuis. Le chef orienté vers l’est, en direction du transept de l’église (seul celui de la dernière travée est orienté vers le sud), les écussons armoriés sont pour la plupart soutenus par des tenants, en forme d’anges (armoirie 7), d’animaux (armoiries 1, 3, 6), de griffons (armoirie 2), d’hommes sauvages et de figures féminines (armoirie 5).
Le cœur de la composition était probablement constitué par les armes d’Amboise qui occupent les travées centrales de la gallérie. L’une est simplement insérée dans un cadre polylobé (armoirie 4), l’autre est mise en valeur par son cortège de tenants (armoirie 5) : deux hommes sauvages des deux cotés, une jeune femme habillée d’une longue robe derrière l’écu, qui présente encore des traces de polychromie (jaune sur le fond, rouge sur les trois pals). Les armes de l’abbé bâtisseur se retrouvent sur le mur du fond de la galerie, à l’entrée du transept. Un écusson aux armes d’Amboise est représenté dans le tympan de la porte en accolade flamboyante qui donne accès à l’église (armoirie 9) :

Saint-Jouin-de-Marnes, cloître de l’abbaye, galerie sud, portail du transept nord, avec écusson aux armes de l’abbé Pierre d’Amboise.
surmonté d’une mitre de laquelle descendent les deux fanons et accompagné d’une crosse, il présente une forme allongée qui, dans la région, semble se diffuser entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe. Il est probable que la grande porte, mal adaptée à la hauteur de la gallérie, soit le fruit d’une intervention légèrement successive. Dans un premier temps, la présence de l’abbé sur cette paroi devait se limiter à l’armoirie encastrée juste au-dessous du sommet de l’arcade (armoirie 10), dont l’emplacement resterait difficile à expliquer autrement.
Les armes d’Amboise – toujours représentées dans la forme simple du palé familial et non dans celle de l’écartelé avec un écusson en abîme, utilisée par Pierre – n’ étaient pas représentées sur toutes les voûtes de la galerie, comme cela a souvent été écrit (cf., par exemple, Villard 1966, p. 1382 ou Souchal 1976, p. 520). Si, à la fin du XIXe siècle, Belisaire Ledain affirmait que les armes du fondateur étaient visibles sur plusieurs écussons sculptés des voûtes (Ledain 1894, p. 6), il est plausible qu’elles étaient accompagnées par d’autres armoiries, représentées sur les écussons qui ont été bûchés, probablement à la Révolution. En observant avec attention le premier écusson (armoirie 1), on y distingue clairement trois fleurs de lys, disposées deux et un. Il est malheureusement impossible de déterminer ce qui était représente sur les autres écussons bûchés : une aigle était peut-être représentée sur la clef de voûte de la sixième travée (armoirie 6) et une autre armoirie du roi de France sur celle de la troisième travée (armoirie 6), que l’on dirait soutenue par deux cerfs (les pattes des tenants ont deux sabots), devise royale. Des signes « politiquement connotés » auraient donc attiré les attentions particulières des révolutionnaires, qui ont en revanche épargné les pals innocents des Amboise. Malheureusement, l’impossibilité de déterminer l’identité des autres armoiries représentées et la perte des autres parties du cloître, probablement mises en signe de la même façon, empêchent de comprendre le message du cycle héraldique qui, de toute évidence, visait à représenter l’abbé Pierre parmi les grands de son époque.