Nouaillé-Maupertuis, abbaye Saint-Junien (logis abbatial)
Issu d’une famille originaire de Bretagne mais avec des possessions en Poitou, Raoul du Fou fut abbé commendataire de Saint-Junien de 1468 à 1511, année de sa mort. Nommé évêque de Périgueux en 1468, puis transféré d’abord à Angoulême (1470) puis à Evreux (1479), il cumula dans sa vie plusieurs bénéfices ecclésiastiques, parmi lesquels on rappellera l’abbaye de Saint-Thierry de Reims et celle de Valence (Favreau). Même s’il préférait loger, pendant ses séjours à Poitiers, dans le palais qu’il avait fait construire dans les Arènes, en plein centre ville, Raoul s’engagea beaucoup pour l’amélioration de son abbaye de Nouaillé, que ce soit pour la construction de bâtiments nouveaux ou pour le décor monumental.
Bibliophile, mécène raffiné et grand bâtisseur, Raoul commandita pendant son abbatiat la construction de plusieurs structures à l’intérieur du monastère qu’il présidait. Notamment, celui-ci fut pourvu d’une nouvelle sacristie, d’une salle capitulaire et d’une petite chapelle dédiée à Notre-Dame, aujourd’hui disparue (Petit 1997, p. 59). En outre, un nouveau logis abbatial fut érigé à l’entrée nord-occidentale de l’enceinte, par l’aménagement d’un bâtiment déjà existant et datant de l’époque romane. Occupé depuis 1991 par les services de la Mairie, l’édifice se signale par sa haute tour d’angle, contenant l’escalier qui dessert les différents étages de l’immeuble. L’accès était possible à travers la porte qui s’ouvre au rez-de-chaussée, donnant sur la rue qui menait à l’église et qui était peut-être réservée à l’abbé (Acin 1992-1993, p. 23). L’ouverture est encadrée par une élégante accolade, ornée de crochets, de fleurons et de hauts pinacles latéraux.
Dans le tympan, on devine encore les vestiges d’une représentation héraldique complexe et très originale, malheureusement bûchée et désormais presque illisible (Hablot sous presse). Pourtant, on peut encore identifier les armes de Raoul du Fou dans l’armoirie centrale (armoirie 1), : les traces de la fleur de lys sont encore visibles au milieu de l’écu et il est possible que les deux éléments en relief aux deux cotés appartiennent aux corps de deux éperviers ; au-dessus du lys, on devine aussi le profil de la mitre et des fanons retombant des deux cotés. L’écu de l’abbé n’était alors pas surmonté par une mitre épiscopale, comme le pensait René Crozet (Crozet 1939, p. 296), mais par les clefs de saint-Pierre en sautoir. Il s’agit d’un hapax dans l’emblématique de l’illustre prélat qui semble avoir toujours fait surmonter les armes familiales par ses enseignes « de fonction » (donc, la mitre et la crosse), comme on peut le voir sur le portail du prieuré d’Availles ou dans son Livre d’heures conservé à la Bibliothèque municipale de Poitiers (ms. 605, f. 193). Dans le tympan, à la dextre de l’armoirie centrale (armoirie 2), on reconnait la marge supérieure d’un deuxième élément qui pourrait correspondre à un second écu dont la moitié inférieure, perdue, penchait vraisemblablement au-dessous de l’architrave: une solution qui demeure encore une fois plutôt singulière dans l’héraldique monumentale de la région. Cette armoirie était surmontée par une tiare dont les fanons retombent des deux coté de l’écu : il s’agissait clairement de la mitre de l’abbé Raoul. De l’autre coté, donc à la senestre de l’armoirie de l’abbé, se trouvent les restes d’un troisième élément qui, bien que très abîmé, ne semble pas correspondre à une troisième armoirie. Un dessin reproduisant le décor héraldique qui surmontait la porte de l’Hotel d’Evreux à Poitiers (Paris, BnF, Est. Reserve Pe-8-Fol.) aide à identifier ce qui y était représenté. Il s’agissait d’un bourdon de pèlerin auquel étaient suspendus une coquille de Saint-Jacques (tout en haut) et une sacoche (en bas). Cet accent mis sur l’image du pèlerinage demeure pour le moment inexpliquée. Toutefois, la présence du bourdon invite à dater la composition héraldique et, par conséquent, l’édifice à la même époque que l’Hotel d’Evreux, à savoir vers 1490.
La présence de l’abbé et commanditaire des travaux était signalée aussi à l’intérieur de l’édifice par le biais d’autres éléments héraldiques.

Nouaillé-Maupertuis, abbaye Saint-Junien, logis abbatial, cheminée armoriée (cliché F. Mandon / Atemporelle).
Comme on peut le voir dans d’autres résidences aristocratiques de la même époque (voir le château de Bourg-Archambault, reconstruit par l’évêque Pierre de Sacièrge entre 1494 et 1514), dans les espaces internes, le décor emblématique trouve son support idéal sur les manteaux des cheminées monumentales. Généralement placées sur le mur oriental, le plus important du point de vue symbolique, elles constituaient clairement le point focal de l’organisation spatiale des pièces les plus prestigieuses de ces demeures, souvent dotées d’une fonction publique. Dans le logis de Nouaillé, le manteau de la cheminée d’une chambre au troisième étage de l’aile nord porte les armes de l’abbé (Ladiré 2011, t. 1, p. 44 et t. 2, pl. 74) accolées à une crosse et accompagnées par la mitre épiscopale, placée entre le chef de l’écu et le bâton de la crosse, avec les deux infulae descendant dans le champ de l’armoirie (armoirie 3). L’armoirie a été sûrement repeinte dans la seconde moitié du XXe siècle, mais le relief, peut-être rétabli à cette occasion, semble respecter la forme de l’enseigne originelle.