Dès le milieu du XIIIe siècle, les armoiries devinrent un élément omniprésent dans l’horizon visuel de l’homme médiéval. Elles apparaissaient sur tous types de supports et de bâtiments et étaient chargées de fonctions sémiotiques multiples, qui dépassaient largement la seule fonction d’identification des personnes.
Bien que l’action du temps et des hommes aient considérablement réduit ce patrimoine d’images, dans toute la France, les monuments et les sources écrites offrent de nombreux témoignages de cette profusion héraldique. Toutefois, même pour les zones ou l’importance de cette présence a été reconnue par les spécialistes, manquent encore des études systématiques qui permettraient de saisir la réalité du phénomène sur une échelle territoriale et chronologique ample. D’ailleurs, dans les dernières années, des études de plus en plus nombreuses ont démontré l’intérêt scientifique d’une typologie d’images qui souvent délivre des informations essentielles pour la connaissance du monument, de ses fonctions, de la nature et de la culture de ses commanditaires.
Initié en janvier 2014 par le Centre d’Etudes Supérieures de Civilisation Médiévale de Poitiers, le programme de recherche ARMMA. Armorial Monumental du Moyen Âge vise précisément à établir, sur le long terme, un recensement complet et une étude scientifique de toutes les figurations héraldiques monumentales médiévales produite en France à l’époque médiévale (fin XIIe-début XVIe siècle). Sans appliquer aucune distinction d’ordre qualitatif, matériel ou lié à l’état de conservation des œuvres répertoriées, l’étude s’attache à la fois aux ensembles héraldiques conservés in situ, à ceux disparus mais documentés par les sources indirectes et aux pièces erratiques, à savoir celles sorties de leur contexte d’origine et conservées, pour la plupart, dans les collections muséales. Chaque décor armorié est documenté sur place et analysé en rapport avec son contexte monumental, fonctionnel, artistique, sémantique, patrimonial. D’ailleurs, l’objectif du programme n’est pas seulement d’avancer dans la connaissance scientifique des pratiques héraldiques au Moyen Âge, mais de contribuer à la valorisation et à la conservation d’un patrimoine iconographique longtemps déprécié ou ignoré et, par conséquent, plus souvent exposé aux risques de destructions ou de restaurations pas attentives à la reconstruction philologique de l’image.
Dans le cadre d’une première enquête consacrée au Poitou historique, le patrimoine héraldique du département de la Vienne et de la ville de Poitiers a fait l’objet d’une analyse ciblée, en raison du l’extrême richesse d’attestations découvertes dans ce territoire au fur et à mesure de l’avancement d’un travail de recherche mené largement sur le terrain. Au terme d’une mission de 26 mois non continus, mise en place grâce au soutien de l’Université de Poitiers et de la DRAC Nouvelle Aquitaine, 420 « unités monuments » – à savoir des édifices caractérisés par la présence d’au moins un élément héraldique d’époque médiévale – ont été recensées, dont 300 uniquement dans le département de la Vienne (61 dans le seul Poitiers !). Intégré par la suite dans le programme E-SIGNA, porté par l’Ecole pratique d’hautes études, dans lequel il a été associé à d’autres bases consacrées à l’emblématique médiévale (base Devise et Sigilla), ArmmA bénéficie depuis juin 2018 du soutien du DIMé Sciences du texte et connaissances nouvelles. Dans ce cadre, une nouvelle mission consacrée à l’héraldique monumentale dans l’Ile-de-France vient d’être lancée. Des ouvertures sur d’autres régions à « grand potentiel héraldique », tel la Bretagne et l’Auvergne, sont déjà à l’étude.